4,54 milliards d'années à supporter le poids du monde. A créer la vie avec minutie. A vivre, en veillant sur mes enfants avec bienveillance. 4,54 milliards d’années avec la Lune comme compagne, ma meilleure alliée, mon amie, ma soeur. Elle m’a vue briller, elle a vu mon déclin aussi. La vie, je l’ai façonnée petit à petit, avec toute la force et tout l’amour dont j’étais capable.
J’ai donné à n’en plus rien avoir. J’ai aidé autant que j’ai pu, puisant dans mes ressources pour donner, toujours plus. Les animaux ont commencé à se balader partout et puis, le cycle de la vie s’est enclenché et je les ai regardé se développer avec un plaisir non-dissimulé. Seule planète ayant été capable de créer la vie dans notre système solaire, la fierté m’étouffait à chaque fois qu’on m’adressait la parole dans les cieux étoilés. Il n’y avait qu’avec Lune que je restais humble. Parce que je ne pouvais pas lui afficher ma réussite sous le nez alors même qu’elle n’était destinée qu’à graviter autour de moi. Parce que
je refusais de la blesser.
Et puis, il y avait celui qui la baignait de sa lumière,
le Soleil, mon allié, mon ami, un des plus chers. Il m'offrait son aide sans jamais rien attendre en retour. Il regardait la vie évoluer avec autant de fierté et de douceur que je le faisais. Et puis il y avait nos conversations, chéries et appréciées. On était fait pour s'entendre. Ou en tous cas je voulais le croire. Jusqu'au jour où j'ai lâché le mot de trop, employé le mauvais ton,
joué à m'en brûler les ailes. Il m'en a voulu. Beaucoup. Trop. Assez pour me refuser sa chaleur, assez pour laisser le froid, la neige,
la glace m'envahir toute entière, pour me laisser geler à pierre fendre. Il a laissé nos créatures mourir les unes après les autres. J'ai vu mes dinosaures, immenses, imposants, majestueux, s'éteindre pour une querelle ridicule. Et j'étais trop fière pour briser la glace entre nous. J'ai laissé les choses s'envenimer jusqu'à l'extinction presque complète de toute vie. Quelques millénaires sans lui et
je n'étais plus rien. Alors j'ai crié, pleuré, supplié. Je lui ai tout promit, jusqu'à la lune. Et il a finit par céder à mes suppliques, parce qu'au fond je n'étais rien sans lui, mais sans moi il n'y avait pas de vie. Et le soleil aimait la vie.
Et puis, les animaux ont tellement évolué qu’ils ont fini par devenir intelligents au-delà de mes espérances, presque à mon image. Ils ont découvert des choses, comment survivre mais survivre mieux. Et puis, il ont commencé à
vivre vraiment. Malheureusement, c’est aussi là qu’ont commencé les problèmes. Mes enfants, comme des sales gosses en pleine crise d’adolescence, ont commencé à se battre entre eux. Ils se sont entretués, massacrés, déchirés. Je voyais les larmes perler à leurs yeux, le sang me ruisseler dessus, la haine teinter leurs beaux visages. Je les voyais se trucider pour un morceau de ferraille gentiment donné par leur mère qu’ils finirent par oublier au profit de richesses, de pouvoir, de querelles qui ne finissaient jamais. J’ai vu la barbarie les étreindre, la torture qu’ils s’infligeaient, je les ai vu s’arracher des membres, se crever les yeux.
Je n’arrivait pas à comprendre comment des êtres que j’avais crées, aidés, chéris, pouvaient se révéler si vils. Je les savais capables du meilleur. Ils avaient bâti des dynasties, avaient atteint des niveaux de plaisir inimaginables, s’étaient aimés à en mourir parfois, tout ça sous mes yeux avide de leur bonheur. Les humains, ils étaient friands de l’amour. C’était ce qui leur procurait leurs plus grands plaisirs et leurs plus grands chagrins. Et puis, je les ai vu capable du pire aussi. Je les ai vu tuer leurs propres mères.
Et me tuer moi.A force de les observer sans relâche, sans que je m'en rende compte, leur maladie a finit par m'atteindre. La haine, la
rage, la colère se sont propagées dans chaque parcelle de mon être. J'ai commencé à me révolter, créant des catastrophes naturelles à n'en plus finir.
J'ai voulu les exterminer, mes enfants chéris, je voulais qu'ils meurent, qu'ils meurent tous. Il ne pouvaient pas vivre si je voulais survivre. Ils tuaient mes arbres, épuisaient mes ressources, me les arrachais sans que je ne veuille les leurs donner. Ils tuaient les autres animaux, les rayant de la réalité un par un. J'avais créé chaque chose avec minutie, la moindre brindille avait son utilité et plus ils détruisaient mon oeuvre, plus
le chaos m'envahissait. J'ai tenté tant bien que mal de contenir leur folie, j'ai tenté... Mais ils se sont reproduits, toujours plus, bien plus qu'il ne l'aurait fallu. Et mon corps calciné faisait rire certaines étoiles, certaines planètes qui avaient été si jalouses de me voir porter la vie. Elles se rengorgeaient de ne pas avoir pu la créer maintenant. Parce que la vie me détruisait aussi surement qu'un feu brûle une forêt. Plus le temps passait et plus ils me dégradaient.
J'ai finit par les haïr plus que de raison. Et puis il y a eu cette lubie qu'ont eu les étoiles de s'incarner sur mon sol déjà fragile, creusant parfois des cratères contre mon corps. Elles voulaient
l'amour et les plaisirs de la chair. Elles voyaient les humains comme des être bons et doux, elle les avaient observés mais tellement moins que moi, elles n'avaient pas su voir la noirceur empoisonnant leurs coeurs. Elles n'avaient pas su voir les
monstruosités créée par mon avidité à peupler mon être, mon avidité à créer une perfection proche de la nôtre. Si j'avais essayé de les modeler à notre image, ils étaient tout sauf nos égaux. Ils n'apprenaient rien, ils n'avaient pas le coeur pur, n'étaient pas compréhensifs. Ils ne pensaient qu'à s'enrichir et dominer. Et je restais là,
impuissante, à les regarder faire.
See I was dead when I woke up this morning
I'll be dead before the day is doneEt puis, l'idée m'est venue tout à coup, comme dans un rêve. J'allais m'incarner moi aussi. Parce que si eux n'apprenaient rien, moi je les avais observés pendant des millénaires et j'avais tout retenu. Et me rappelant soudainement de leur cheval de Troie, j'en ai déduis que je devais
les ronger de l'intérieur, les assassiner avec patience tout comme ils le faisaient avec moi. Je devais les pousser à s'entretuer, tous. Et puisqu'ils avaient inventé la bombe atomique,
je les tuerai avec. Je détruirais des parties de moi afin de pouvoir me relever plus tard. Sans leur poids sur mes épaules. Je traquerai les survivants un à un si je le devais. Et puis le Soleil finirait surement par me renvoyer une aire glaciaire à la tronche et je serais alors sûre qu'ils ne se relèveraient pas.
Je les ai observés avec plus de soin, me choisissant la famille idéale, influente, riche, aimante. J'ai appris leurs habitudes et comment les charmer. Je connaissais les humains par coeur et je connaissais toutes leurs faiblesses aussi bien que leurs forces. J'étais sûre de pouvoir les apprivoiser, les dompter.
J'étais sûre de pouvoir les anéantir. Alors j'ai créé mon corps à l'image de leur perfection. Des traits angéliques, des muscles à peine dissimulés. Une force latente, un charisme impressionnant, une peau dorée. Un visage poupin et un corps d'homme. J'ai façonné mon enveloppe comme
une arme, me rendant insensible à la douleur, je me suis bâti grand et mince pour séduire, j'ai dessiné mon sourire charmant et mes lèvres roses et douces. Et puis, j'ai fait pousser des cheveux blancs sur mon crâne, pour montrer ma sagesse, sans comprendre qu'ils interpréteraient ça d'une toute autre façon. Mes yeux, je les ai teinté d'un gris perle non sans rappeler le sol de ma compagne que j'abandonnais soudainement. Je ne pourrais plus parler à Lune lorsque je serais humaine, mais c'est vers elle que mes yeux se tourneraient lorsque je chercherais un quelconque réconfort.
Contrairement à mes comparses, je ne suis pas tombé sur la Terre. J'y étais déjà. J'y étais
enfoui. Et c'est de mes propres entrailles que j'ai dû m'extirper. J'ai quitté mon corps astral pour posséder ma toute nouvelle enveloppe corporelle, faible, petite, ridicule. Je me suis relevé, plein de terre, de la poussière dans la bouche et les cheveux, mes yeux eurent du mal à s'habituer à leur acuité d'humain. Je n'étais plus capable de tout voir, ce qu'il se passait au Japon m'était inconnu, ce qu'il se passait à dix kilomètres de là m'était inconnu et ça
m'angoissait. J'émerge lentement, l'imparfaite coordination de mes mouvements et cette faible enveloppe dans son entièreté me troublent. Mon corps est jeune, trop jeune, bien que vigoureux. Je réalise
ma première erreur, j'aurais dû me façonner un corps d'adulte même si ça impliquait d'abandonner l'idée d'être recueilli par la famille d'humains.
Corps fluet d'un enfant de quatorze ans à peine, je n'ai jamais connu plus grande faiblesse et la peur m'enserre les entrailles. Les humains pourraient ne faire qu'une bouchée du pauvre fou que je suis et je ne peux pas espérer de quelconque miséricorde de leur part.
Je regrette déjà mon choix mais il m'est impossible de revenir en arrière. Je regarde le ciel et pose un instant les yeux sur
ma Lune. Je dois faire vite, je n'ai pas beaucoup de temps, je ne peux pas le perdre en la dévorant de mes yeux d'humain, la voyant sous un tout nouveau jour. Alors, je me relève sur mes jambes fragiles sortant à peine de l'enfance et je cours comme je les ai vus et sentis faire un milliard de fois, je les imite d'une hideuse maladresse et retombe plusieurs fois sur le sol, mon sol. Je caresse la Terre de ma paume avant de me remettre en route. Je sais où je vais sans avoir besoin de carte parce que je me connais par coeur, je sais où trône chaque pierre et où pousse chaque arbre. Je sais aussi où ils m'ont recouvert de goudron et d'immeubles, alors c'est sans surprise que je déboule sur la route. Celle où
il passe. J'ai tout prévu dans les moindres détails, tout sauf qu'il soit en avance de quelques secondes. Assez en avance pour qu'il me percute et que mon dos brise sa vitre avant. Je distingue quelques éclats de verre dans mon bras et j'observe le sang perler sur ma peau avec intérêt. Je n'ai pas mal,
je n'aurais jamais mal. Il sort précipitamment de la voiture et je fais ce que j'ai répété mentalement un bon millier de fois malgré l'imprévu. La moue horrifiée, effrayée, mes mains douces d'enfant contre ses bras.
« Ils vont me tuer, ils vont me tuer. Je vous en prie, aidez-moi. » Une conversation et une visite à l'hôpital plus tard, j'avais une famille et j'étais diagnostiqué souffrant d'insensibilité congénitale à la douleur en vue de mes deux côtes cassées que je ne sentais pas.
Et c'est comme ça que tout a commencé. La femme m'a
aimé au premier regard. Je m'étais façonné à l'image de sa perfection à elle car je savais que son coeur cédait plus facilement. Mes yeux en amandes ressemblaient aux siens si on en oubliait la couleur, mes traits angéliques et mon sourire charmant eurent vite raison d'elle. Elle s'extasiait de la couleur blanche de mes cheveux et de l'
argent de mes yeux.
« Silver. » Un murmure de sa part et j'avais un nom. Un nom bien humain. Bien à moi. Des noms, j'en avais eu des centaines, chacun me désignant de son sobriquet personnel. Les étoiles m'appelaient le plus souvent
Gaïa. Mais sur Terre, parmi eux, je serais Silver. Dur et froid comme l'argent, mais beau aussi, celui que l'on veut posséder et exhiber à son bras. Celui qui resplendit d'un éclat particulier. Celui qu'on peut bien essayer de tordre dans tous les sens sans qu'il ne bouge d'un poil.
Et puis, il y avait l'homme. Si la femme était une cardiologue de renom, lui était procureur. Son influence avait peu de limites, c'est grâce à lui et ses connaissances que j'ai pu intégrer la société humaine avec une facilité déconcertante. Un simple nom sur une simple carte et j'existais. C'était aussi simple que ça. Je me souviens de la brillance de ladite carte lorsque je l'ai eue dans les mains pour la première fois.
Silver Hazard-Mori. La femme avait insisté pour me donner son nom aussi alors j'en avais deux. Je me souviens du dédain que j'ai ressenti, du
mépris que je ressentais pour eux.
Leurs aspirations me paraissaient ridicules. Leurs carrières ambitieuses ne leur avaient pas laissé l'occasion de former une famille digne de ce nom et mon arrivée, ils l'avaient vu comme un don du ciel.
Cadeau empoisonné qui les manipulait sans remords de ses grands yeux de biche. Mon mensonge s'était déployé comme une corolle autour de moi et ils avaient plongé dedans avec plaisir. Je m'étais évadé d'un secte dans laquelle j'avais passé l'intégralité de ma vie et ils voulaient me retrouver et m'anéantir, mettre fin à mes douloureux jours. Un tissu d'ânerie qui avait convaincu l'homme de m'aider. Naïveté assassine. Toute l'histoire fût étouffée dans l'oeuf par l'homme que je devrait appeler père mais que je considérais comme un moins que rien. Ils m'ont aidé pendant des années sans voir le nid de serpents grouillants sous la peau d'albâtre.
La main fend, le genou frappe, le corps renverse et le coup de pied assassine. J'avais trouvé comment devenir plus fort, comment éliminer un peu de cette faiblesse qui me rongeait, comment être en mesure de terrasser un homme. Je m'étais investi dans les arts martiaux comme si ma vie en dépendait, je voulais à tout prix que mon corps soit mon arme de destruction massive, parce que je n'avais que ça. Mes hobbies étaient peu nombreux, j'aimais apprendre parce que me renseigner sur les humains était vital et il y avait les arts martiaux. Je sortais peu et si je sortais c'était seul, enfant introverti ne recherchant jamais la compagnie qui était infligée quand même. J'aurais aimé pouvoir m'isoler de leur société mais il m'était nécessaire de m'y fondre. Alors je leur lançais quelques sourires parfois, qui les assassinaient. Ils me voulaient parce qu'ils ne pouvaient pas m'avoir, ils sentaient qu'il y avait quelque chose à propos de moi. Mais ils étaient incapables de mettre le doigt dessus.
Et puis, j'ai rencontré mes enfants, les vrais. Ils venaient me voir parfois. Ils me reconnaissaient, ils savaient que j'étais leur créateur, leur
mère. Les papillons venaient poser leurs membres fins sur mes doigts, les chats se frottaient contre mes jambes, les oiseaux chantaient pour moi. Leur instinct était plus fort que celui des humains, ils étaient aveugles à la beauté subjective, mais ils voyaient l'âme avec exactitude. Je m'asseyais souvent dans la forêt, les yeux rivés vers l'astre argenté qui semblait m'observer, attendant qu'ils viennent. Ils étaient curieux, pacifiques. Même les plus carnassiers n'auraient pas osé m'attaquer. Ils me connaissaient, ils étaient conscients que je les avait nourris, protégés, que je leur avait tout donné. Ils étaient ma famille, ma seule famille.
Le lycée, royaume des idiots où la beauté est maîtresse, où les jolis visages font la loi et où les autres la subissent sans broncher. Le lycée n'est pas bien différent du reste du monde. On m'a adopté parce que j'étais beau, on m'a aimé parce que j'étais beau, on n'a pas su voir la noirceur en moi parce que j'étais beau. L'intégralité de leur monde reposait sur la recherche de cette beauté physique, éphémère et dérisoire. Les humains étaient comme des pies, attirés par ce qui brillait; et à leurs yeux j'avais l'éclat du plus brillant des trophées.
« Je t'ai déjà dit de pas jeter de trucs par terre. Ramasse moi ça, tu sais très bien que je le supporte pas. » Entouré, toujours beaucoup trop, je rayonnais d'un éclat particulier qui avait le don d'attirer les humains. Faibles, faibles humains. Stupides humains. Ils ne me lâchaient pas, m'aimaient à en crever pour certains. Une fille s'était donné la mort sous prétexte que je lui aurais répondu trop violemment sur Twitter. Encore une fois, l'affaire fût étouffée et tous ceux au courant prirent ma défense, s'acharnant plus encore sur la morte. Et plus ils étaient de mon côté, plus je les haïssais. C'était encore une fois parce que mon éclat était trop important. C'était toujours la faute du laid. Quoi qu'il arrive, le beau ne pouvait décemment pas être remit en cause. Le beau ne pouvait avoir que les intentions les plus pures.
Elle rit, Cassie, au son de ma remarque. Elle ne veut pas ramasser Cassie. Parce qu'on lui a dit de me tenir tête, ses copines lui ont dit que j'aimerais ça, que je la remarquerai
enfin. Et Cassie, son petit coeur naïf lui disait qu'on était faits l'un pour l'autre, qu'un jour on pourrait se marier si elle faisait un effort, qu'elle pourrait m'avoir pour elle seule. Si les regards pouvaient tuer, le mien n'aurait fait qu'une bouchée de son corps frêle, je sais qu'elle a peur, je lui fait peur. Elle ne sait pas bien pourquoi, parce que j'ai toujours montré mon meilleur jour au lycée, je me suis fondu dans leur masse comme un poisson dans une rivière. J'ai fait ce qu'on attendait de moi, toujours. J'avais été assez prévisible pour qu'ils puissent m'anticiper, qu'ils ne se méfient pas. Mais aujourd'hui, quand elle décide de me défier, quand elle décide de cracher contre mon corps meurtri, quand elle décide d'y laisser la canette qu'elle vient de jeter et de tourner les talons parce que son coeur bat trop fort, parce qu'elle craint ma colère, cette fois je ne la laisse pas faire. Ma main douce empoigne ses cheveux avec force et je la traine jusqu'à la canette alors même qu'elle hurle à pleins poumons.
« Ramasse. » Elle me griffe la main. Personne ne l'entendra ici. Personne. Elle a voulu me suivre dans mon repère, au fond de la forêt, endroit sacré où je n'aime pas qu'on vienne me coller. Pourtant je l'ai laissée venir,
instant de faiblesse dont on allait tous les deux payer le prix. Elle ne ramasse pas, elle a trop peur. Mais c'est trop pour moi, c'est beaucoup trop. Je les vois tous les jours cracher leurs horribles chewing-gums par terre, y jeter leurs mégots, leurs papiers en tous genre comme si
je n'étais qu'une immense poubelle. Je vois chaque geste, je les vois frapper mes arbres, marcher sur mes fleurs, les piétiner comme
ils me piétinent. Je ne pouvais plus le supporter. La rage avait noirci mon coeur avec allégresse, je n'étais plus que rancoeur, je voulais plus que jamais les anéantir, elle la première. Mon pied contre sa nuque, je plaque sa tête contre le sol et c'est le sol qu'elle griffe maintenant, dans l'espoir de s'échapper, de m'échapper. Ses larmes et son sang roulent dans la poussière, je veux la voir morte, ici même. Le grognement menaçant se fait entendre sur ma droite. Ils savent, ils savent aussi surement que moi qu'elle va mourir, pourtant ils n'approchent pas, pas encore. Ils se lèchent les babines dans l'ombre, ils pourront bientôt dévorer son cadavre, leurs crocs pourront percer sa chair tendre, déchirer ses tendons et broyer ses os à peine adultes. Je relâche subitement la pression sur sa nuque pour m'éloigner. Ma main glisse contre le bois tendre, j'attrape mon arme avec lenteur pendant qu'elle se relève pour essayer de s'enfuir. Et puis, je la frappe si violemment qu'elle ploie sous l'attaque, elle retombe au sol, ses sanglots plus forts que jamais. Elle sait qu'elle va mourir maintenant. Elle essaie quand même, encore et toujours de se relever. Leur instinct de survie est puissant, ils ont peur de mourir, peur du noir, de l'infinité, de l'inconnu. Le bois frappe son doux visage, y laissant quelques éclats teintés de vermeil. Une fois, deux fois, trois fois. Je la dévisage puis c'est mon pied qui frappe. L'estomac, la tête. Jusqu'à ce qu'elle cesse de crier, jusqu'à ce qu'elle cesse de vivre. La meute est sortie de l'ombre, appâtée par le festin que je leur offre. Je lâche mon arme et recule de la scène. Mourir fait partie du cycle infini. J'ai déjà tué des milliards de fois et pourtant, j'ai l'impression que c'est différent cette fois. Parce que mon enveloppe, loin d'être divine, pourrait être anéantie de la même façon en une fraction de seconde. J'observe les loups déchirer son corps meurtri et se repaître de ma rage. Je me calme avec le spectacle qu'ils m'offrent. Ce sont eux mes vrais enfants. C'est eux que je veux protéger et chérir. Eux qui m'ont toujours respectée. Mon but, c'est pour eux que je dois l'atteindre.
Je dois préserver la vie à tout prix.
Un jour, alors que je n'étais même pas encore majeur, j'ai rencontré un chat, noir et blanc aux yeux gris. C'était le genre de rencontre que je faisais régulièrement, pourtant cette fois, j'ai compris qu'il n'était pas là pour m'apporter de petit cadeau comme les autres. Tous les chats du quartier avaient tendance à déposer de petits cadavres devant notre porte d'entrée, ce qui faisait criser la femme. Je sais qu'elle se demandait parfois si je n'y étais pas pour quelque chose, si ce n'était pas moi qui tuait les animaux pour les déposer devant la porte. Une idiote de plus. J'ai gardé le chat près de moi quelques jours, incapable de voir ce qu'il voulait,
aussi aveugle que les humains pendant un instant. Je passais ma mains dans sa fourrure délicate en pensant que si je n'avais personne, j'avais au moins lui. Que peut-être il resterait près de moi, que j'aurais un nouveau compagnon si je ne pouvais plus avoir Lune. Et puis, il a finit par m'intriguer, il a réussit à m'y emmener, l'endroit qu'il voulait me montrer. Entouré de grilles immenses, une simple usine comme on en voit souvent, pourtant la sécurité avait l'air lourde. J'ai appelé l'homme. L'homme pouvait me faire entrer n'importe où, l'homme était influent, puissant. Je suis passé, accompagné de mon chat, malgré l'air dépité du garde. On ne la lui avait jamais faite celle-là. Curieux,
curieux de tout, toujours. C'est ce qui me conduirait à ma perte, cette curiosité déplacée, toujours trop grande, qui m'envahissait l'esprit jusqu'à ce qu'enfin je sache ce qu'il y avait derrière la porte, ce que l'ont me cachait. Et j'en pousse des portes, le chat disparait et je me retrouve seul dans les locaux froids. Une salle et des milliers de cages où
mes enfants croupissent, gras, malades, apeurés. Je glisse mes doigts entre les barreaux d'une cage, mes yeux sont fous,
mon coeur est en miettes. Je suis
horrifié par le spectacle qui s'offre à moi et je ne quitte pas le renard des yeux. Il fait perler le sang sur mon doigt. Il mord, fort, toujours plus fort. Il m'en veut. Il voudrait que je le sorte de là, il préfèrerait mourir que d'être ici. Je me relève titubant,
je vais tous les tuer. Je vais tous leur arracher la langue leur brûler les yeux. Je cours presque dans le couloir, où sont-ils ? Où sont les humains ? Et puis je les vois, derrière une vitre, la salle est rouge, aussi rouge que ma vision haineuse. Je lâche un sanglot. Je ne peux pas faire face à leur cruauté, à ma bêtise.
Je m'en veux, je m'en veux tellement. Tout est de ma faute. Leurs gorges sont tranchées comme si leur vie ne valait rien. Je vois leurs corps fragiles tressauter alors même qu'ils sont pendus par les pattes. Ils arrache leur peau sans vergogne bien que certains ne soient pas encore morts, que leurs pattes bougent encore, tentant de les amener vers un endroit moins sombre et je ne peux retenir mes larmes. Je suis en colère, contre moi-même mais surtout contre eux. Je frappe du plat de la main contre la vitre, j'aimerais la briser, j'aimerais briser tous leurs os un à un pour qu'ils comprennent ce que ça fait, qu'ils sachent ce que les animaux ressentent.
« ARRETEZ. Qu'est-ce que vous faites ? Qu'est-ce que vous leur faites ? » L'hystérie me gagne, je ne peux pas arrêter de frapper, de crier et lorsqu'ils sortent, ce sont eux que je frappe. Je casse le nez du premier d'un simple coup de poing bien placé et j'assène un grand coup de pied dans la mâchoire du second qui s'écroule comme une poupée de chiffon.
Goûte à ta propre médecine. Inquiet, je me précipite dans la pièce, espérant un miracle mais rien ne vient, rien d'autre que trois policiers qui m'emmènent de force sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. Quelques minutes plus tard et c'est mon
âme dévastée qu'on enferme dans une cage pour la nuit. Ca me rafraîchira les idées, qu'ils disent. C'est faux,
je n'aurais plus jamais les idées claires, pas avant qu'ils ne soient tous six pieds sous terre, jusqu'au dernier. Je n'aurais pas de répit avant ce jour. Je passe la main à travers les barreaux de la cellule, l'appuyant contre le plexiglass derrière lequel mon âme-soeur resplendit.
J'ai besoin de toi. Mon astre, ma Lune. Descends, je t'en prie. Je suis à deux doigts de craquer, de tout abandonner, de me laisser mourir, détruire et tant pis pour le reste, tant pis pour eux. Mais je ne peux pas, j'ai des responsabilités. L'impression de ne rien pouvoir faire me ronge.
Elle me manque.
Et puis il y a l'éclat, au coin d'une rue. Mon regard est attiré par quelqu'un, pour la première fois depuis très longtemps et l'espace d'une fraction de seconde, je crois que c'est elle. Je lève instinctivement les yeux mais elle reste invisible dans le bleu clair du ciel. C'est un astre,
une autre étoile, je dois savoir, être sûr. Ma main contre son bras, il se retourne, rayonnant. Son regard est interrogateur mais s'illumine vite. Le mien s'assombrit. Je ne suis pas mécontent de rencontrer une étoile ici. J'ai simplement eu l'espoir, pendant un instant, que ce soit ma compagne, qu'elle soit descendue aussi, pour me rejoindre peut-être ou pour n'importe quelle autre raison. Certainement
la seule personne au monde dont j'aurais vraiment souhaité la présence sur Terre. Il veut me raconter ses petites histoires, l'autre étoile, il a l'air surexcité, tout lui paraît nouveau, alors il me traîne jusque dans un parc et j'ai l'espoir pendant un instant qu'il me comprenne. Il arrache quelques morceaux d'herbe.
« Je suis descendu parce que je pouvais rien avoir là-haut. On pouvait pas se toucher, pas s'aimer. J'avais l'impression qu'on n'y connaissait rien. Regarde les humains, ils ont tout, ils sont tellement évolués, tellement bons. J'ai même été recueilli. J'ai la sensation de tout leur devoir, sans eux je serais toujours une étoile. » Non. Personne ne pouvait me comprendre. Personne ne me comprendrait jamais. Et je suis forcé de l'écouter chanter les louanges de mes assassins pendant de longues minutes, beaucoup trop longtemps à mon goût. Tellement longtemps que j'en viens à serrer les poings d'indignation. Il ne pense qu'à eux. Il les idolâtre, les idéalise.
« Ce ne sont que des monstres d'égoïsme. Tu le découvriras vite. » Je l'interromps en pleine phrase avant d'attraper mon sac pour filer mais sa main me retient naïvement.
« Les humains sont bons. » Il est si sûr de lui. Une grimace déforme mes traits doux et ma main attrape son cou, trop violemment, trop fort. Je le plaque contre un arbre avec rage et désespoir. Je suis seul, seul,
seul. Il se débat, me supplie du regard à défaut d'en être capable avec sa voix. Des larmes roulent sur mes joues blanches.
« Tu crois qu'ils te sauveront ? Tu crois qu'ils me sauveront ? Les humains sont faibles. Ils sont monstrueux, tu n'as pas idée du mal dont ils sont capable. Et vous, les étoiles, je vous hais de les aimer. Je vous hais toutes... » Ses yeux finissent par se révulser, il convulse l'espace d'un instant, l'absence d'oxygène le tue. Je le tue. Ma haine n'a plus de limites, je veux qu'ils meurent, tous. Je veux débarrasser mon sol de toute cette vermine. Etres humains ou astres, ils sont tous pareils.
Je devais me calmer. Arrêter de les tuer sous peine de finir derrière les barreaux. C'est pas en tuer un ou deux que je voulais, c'était les tuer tous. Et pour ça,
il fallait que je joue à leur jeu et que je le gagne. Alors je me suis fondu dans la masse comme je ne l'avais encore jamais fait. J'ai apprit à distribuer les sourires sans y penser, j'ai apprit à toujours retenir mes mots, me montrer sous mon meilleur jour, à tous ou presque. Il n'y avait que dans l'intimité, à l'abri des caméras et du reste du monde où je pouvais laisser libre court à ma véritable personnalité. Je ne laissais tomber le masque que devant quelques élus, il n'y en eu pas beaucoup et je fus forcé de tuer la plupart d'entre eux.
Et puis, sans que je m'y attendre, il a débarqué dans ma vie, comme un cheveux sur la soupe. Il n'a même pas eu besoin de se présenter, je l'ai reconnu d'un simple regard.
Mars, aka le relou. Celui qui ne me lâchait pas et qui décidément, ne me lâcherait visiblement jamais. Il s'appelait Arès ici, et au fond ça lui allait encore mieux. Il s'était façonné beau, Arès, vraiment beau. Ca plaisait aux humains, sa beauté brute qui rappelait son sol rouge. Moi, c'était sa colère, sa brutalité qui me rappelaient sa terre qui me plaisaient.
Il me plaisait. C'est sur une impulsion que tout à commencé, mes lèvres contre les siennes et c'était fini. J'avais pas prévu qu'il me collerait
encore plus après ça. Toujours à vouloir trucider quiconque m'approche et à me reprocher d'aller voir ailleurs alors qu'il est encore au lit avec deux ou trois personnes. Je me fous complètement de ce qu'il fout de son corps humain de mon côté, mais lui ça l'emmerde, que je sois pas rien qu'à lui. Il a finit par devenir mon directeur de campagne, sans que je ne sache vraiment comment. A chaque fois que j'ouvre une porte, ce mec est derrière. Même si ça a le don de m'agacer, c'est aussi l'un des seuls à pouvoir m'arracher
des éclats de rire sincères, et c'est certainement le seul ayant pu effacer un peu de ma solitude. J'ai essayé de le tuer une fois, au début, j'ai serré mes doigts trop fort contre sa gorge.
Moment de faiblesse et je le laissais vivre. Ca fait au moins une chose que je ne regrette pas. Parce qu'il a toujours été plus ou moins de mon côté.
Il est mon seul allié.
Un séisme de magnitude 6,9 s'est produit à vingt-deux heures ce lundi douze novembre au large des côtes nord-est du Japon, les habitants ont été évacués en vue du tsunami qui est en train de ravager les villages côtiers en ce moment même, comment...Je les observais à travers le mur de verre, se tourner autour, se faire la cour, ils s'appréciaient, ils se trouvaient beaux, ils finiraient dans un lit. Et puis peut-être bien qu'il finira par tomber amoureux lui aussi.
Comme les autres. Les humains, et surtout les autres astres. Ils sont trop fragiles, ils finissent tous par céder, par avoir des sentiments les uns pour les autres, sauf moi. J'avais fini par croire qu'en annihilant la douleur physique, je m'étais ôté toute chance de ressentir quoi que ce soit pour quelqu'un. C'était surement pas plus mal. Ca m'enlevait un poids des épaules, j'avais d'autres choses à penser. Comme la sueur qui perlait sur ma peau, me ruisselait sur le corps. Comme ma main contre la vitre qui essayait tant bien que mal de retenir mon corps faible. Comme ma vision brouillée par des points jaunes, noirs, je savais plus. Je sens le goût métallique dans ma gorge, dans ma bouche, encore une fois.
Je vais mal, ça empire.
Je vais mourir, je le sais. Je ne sais pas quand, je ne sais même pas comment. La plupart du temps je vais bien. Et puis parfois, j'ai des crises, subites, violentes, mon corps rejette des attaques imaginaires. Je ne suis jamais allé à l'hôpital ou quoi que ce soit, j'ai toujours considéré que les humains ne pouvaient pas me guérir.
J'étais malade bien avant de m'incarner et ils ont été incapables de m'aider jusque là, ils ne font qu'empirer les choses. Mon seul espoir est de finir ma mission avant que mon enveloppe mortelle ne meurt.