« J'savais pas que c'était la journée internationale du sac poubelle, sinon j'aurais mit le mien moi aussi. » Elle grogne, elle me pousse du bras mais tout ce qu'elle réussit à faire c'est se rapprocher assez pour que je la serre contre moi en l'obligeant à marcher dans la direction de l'appartement miteux qu'on partage. Elle se débat comme une furie, me frappant le flanc. La voir dans cet état me comprime la poitrine mais j'en laisse rien paraître, et de toutes façons j'ai l'habitude.
« Tu crois que t'es mieux toi, avec tes cheveux pourris ? Je t'achèterais un bonnet quand tu seras chauve. » « J'ai plus de chance d'me faire adopter par les De Rosalie que toi d'avoir un centime en poche pour m'payer un bonnet. » Elle grimace, moi aussi. Sa robe est à moitié déchirée et on va même pas parler de ses collants. J'sais même pas où elle trouve la thune pour se fringuer et j'veux pas le savoir. Au moins, elle est vivante. Elle trouve le moyen de survivre elle aussi.
Quelques années de moins sur mes traits fins, les cheveux encore bruns, la panique dans les yeux, je fouille la cuisine comme un taré.
« Bordel de bordel de bordel de merde. Putain. » Je passe ma main sur mon front, dans mes cheveux, je tremble sans savoir si c'est de trouille ou de rage. Comment elle a pu nous faire ça ? S'faire voler par sa propre mère si c'est pas le comble ça je me demande ce que c'est. Et la seule chose à laquelle j'arrive à penser c'est que putain je suis dans la merde. Je vais devoir finir le mois avec trois centimes et une soeur de plus en plus casse burnes qui refuse de foutre quoi que ce soit, style travailler pour se payer à manger.
« Espèce de grosse connasse de merde. Putain. Maman. Qu'est-ce que tu fous. » Quelques mots murmurés du bout des lèvres en regardant le plafond. Ma mère, elle s'est tirée depuis longtemps avec mon fric, sans un mot. Elle reviendra comme une fleur dans quelques mois quand elle aura tout dépensé et qu'elle se fera encore larguer. Le truc avec elle, c'est que c'est toujours la même chose, je comprends même pas comment j'fais pour me faire avoir à force, c'est redondant. A croire que je veux absolument penser qu'elle a changé, qu'elle va s'occuper de nous maintenant, comme elle sait si bien le dire. Puis, elle débarque, la grande brune aux yeux perçants, ma soeur, en train de manger un vieux biscuit qu'elle sort d'on ne sait où.
« C'est quoi cette tête d'enterrement ? » Elle lâche un rire moqueur et je secoue la tête en soupirant. Je descends lentement du comptoir où j'avais fini par m'asseoir en léchant soigneusement ma paume. Puis je la lui colle contre la joue sous ses cris de protestation avant d'engloutir son biscuit.
« Surement parce que j'viens d'enterrer le respect. » Je ris, la bouche encore pleine, avant de sortir en courant. Il va falloir que je trouve de l'argent et vite.
« Merde, dégage, tire toi, vite. » Je relève la tête et je suis loin de le laisser me le répéter deux fois, déjà sur mes pieds, prêt à me tirer par la fenêtre, malheureusement il m'a prévenu trop tard.
« C'est qui ça ? Yo, l'blondinet, tu bouges t'es mort. » Je me stoppe net, sur le point de passer ma jambe de l'autre côté de la fenêtre et la repose aussitôt sur le sol. En me retournant lentement, le mains bien en vue histoire qu'ils me butent pas
accidentellement. Eux, c'est les mecs avec qui mon abruti de meilleur ami fait affaire. Les mecs à éviter aussi, ceux qu'on prie pour ne pas croiser quand on sort faire un tour, ceux avec qui on se retrouve vite coincé, comme lui, puis comme moi là tout de suite. Je vois le chef me scruter deux secondes avant de retourner son intérêt vers mon ami, qui leur doit visiblement de l'argent. Je reste planté là pendant la durée de l'échange. Tout ce dont je suis sûr c'est que j'dois pas m'emmêler, alors j'dis rien, je les regarde malmener un peu mon ami, le frapper même, puis il dit qu'il leur filera la thune demain et ils finissent par se tirer. Je vais tendre une main à mon ami qui est toujours à genoux.
« P'tain. Je t'avais dit d'pas te foutre dans leur business. Pourquoi tu leur dois d'la thune ? » « Un putain d'astre qui est mort quand je- » Il se rend compte de sa bourde en voyant mon regard interrogateur.
Un quoi ? Il souffle. Il sait qu'il va falloir qu'il m'explique, et il le fait sans broncher, surement déjà mit hs par la branlée qu'il vient de se prendre.
Une sucette à la pastèque dans la bouche, mes cheveux volent au rythme du vent et mes pieds pédalent vite parce que je suis en retard. Le soleil est couché depuis un moment mais j'ai dû m'occuper de ma soeur qui gerbait dans tous les coins de l'appart parce qu'elle était défoncée en rentrant à seize heures. Le sourire aux lèvres, la lumière des lampadaires comme seule repère, je finis par arriver devant le lieu de rendez-vous. Je pose un pied par terre et je l'observe de loin un moment. Il est beau, il rayonne comme pas possible. C'est son sourire j'crois qui m'fait de l'effet. Depuis toujours. Encore et encore. Comme s'il m'attirait avec, pour mieux me harponner après. Je finis par remonter sur le BMX, pédalant doucement cette fois jusqu'à l'entrée du bar. Il me scrute de son regard perçant. Je m'arrête devant lui et retire la sucette de ma bouche.
« J'sais. J'suis en retard. » J'ai envie d'me marrer, comme d'habitude quand il est sérieux, pourtant je sais que dans deux minutes on va s'en foutre plein la tronche et puis qu'on se réconciliera dans un placard ou n'importe quelle pièce où on peut rester seuls plus de cinq minutes. Mais pas en public, pas maintenant. Alors je passe ma langue contre l'arrête de mes dents en souriant avant de lui fourrer la sucette entre les lèvres.
« C'est bon, rage pas. C'est ma soeur qui gerbait partout. » On sait jamais, des fois que ça calmerait ses ardeurs.
« T'imagines même pas la thune qu'on peut s'faire avec ce plan Nash ! On peut enfin se sortir de la merde ! » Je plonge mon regard dans celui de ma petite soeur, réticent.
« Putain... Bordel de merde, on parle de- » Chhhh. Elle me fait signe de baisser la voix alors je finis en chuchotant.
« On est en train d'parler de vendre quelqu'un. » Elle soupire mais se reprend vite, surement en pensant aux Jimmy Choo qu'elle pourrait s'acheter avec la thune.
« Ils ont dit que si l'humain était encore à l'intérieur ils le guérirait et que pour nous ce serait double pactole. » Elle tourne la tête vers la fille qui boit sagement son thé dans le salon avant de revenir vers moi, une expression de malade sur le visage. J'ai soudainement peur de l'idée tordue qui a bien pu germer dans son esprit aussi noir que son café du matin.
« Et si on l'utilisait pour en trouver d'autres ? Ils doivent bien avoir une sorte de système de reconnaissance style antennes de fourmis, nan ? » Je fronce les sourcils. C'est pas con ce qu'elle dit. J'suis intrigué, fasciné, par la fille qui me regarde de ses yeux purs et naïfs. Fasciné par les étoiles. Je réfléchis à la thune qu'on se ferait en suivant le plan de ma soeur, aux restaurants où on mangerait, aux factures qu'on pourrait payer tranquillement, aux fringues qu'on s'achèterait et aux sorties qu'on se ferait. A ce que j'pourrais acheter à Mako, juste un petit truc comme ça. Nan, mauvaise idée, c'est pas mon genre d'acheter un truc à quelqu'un. Cela dit ça m'déplairait pas qu'il porte
mon collier. Je me mets à ricaner doucement et ma soeur me regarde comme si j'étais un débile.
« J'te préviens, si tu l'fais pas avec moi, j'le fais toute seule. » Je la retiens par le bras quand elle essaie de retourner dans le salon. Hors de question que je la laisse faire ça toute seule, elle finirait dans un caniveau quelque part, surtout avec l'autre enculé de yongsun qui a le bras tellement long qu'il gère tout le traffic en ce moment, d'après mon pote. Elle me regarde avec un grand sourire sur le visage. Ah la connasse, elle savait très bien qu'elle allait m'avoir, que j'allais céder.
« T'inquiètes pas Shou, je m'occupe de tout. » Elle s'échappe de ma poigne, me laissant rager tout seul dans la cuisine. En plus j'déteste ce putain de surnom hideux bordel.