l'amour est un chien de l'enfer

alice s'était réveillé en sursaut, le coeur battant la chamade. pas un bruit, peut-être seulement celui du trafic au loin, de polaris qui veille, qui surveille. il écoute les voitures pendant un moment, prête attention au monde qui gronde, qui respire. encore un cauchemar. ils sont fréquents, des réminiscences de son passé. des bribes de souvenirs, de paroles. alice se souvient. comment oublier ? il se souvient du sourire narquois, du corps contre le sien, du venin qui s'introduisait dans ses veines. Il avait commencé à le détruire alors qu'ils n'étaient que des jeunes adolescents.

maman voulait une petite fille. douce, droite, belle, une enfant qui la comprenait et à qui elle pourrait partager ses valeurs. quand on lui a dit que son bébé était un petit garçon, elle n’a rien voulu entendre. papa était heureux d’entendre qu’il aurait un héritier, un fils avec des épaules assez solides pour supporter les poussières, les miettes de la famille. le problème c’est qu’alice n’était ni une petite fille radieuse et belle, ni un petit garçon talentueux et robuste.

il en avait fallu, des gifles, des réprimandes, des coups et des nuits enfermés dans un placard - pour qu’alice finisse brisé, au moins autant en miettes que l’était la réputation de sa famille. un petit tas de cendres et de larmes, que ses parents s’étaient empressés de ramasser, pour le remodeler, en faire l’enfant qu’ils voulaient depuis si longtemps. une petite poupée fragile comme du verre. docile, silencieux, qu’importe qu’il soit instable, qu’importe qu’on puisse l’écraser facilement. il fallait qu’alice soit doux, il fallait qu’alice écoute ce qu’on lui dise et que jamais il ne réponde.

jamais il ne répondait. il vivait dans une grande maison, la plus grande maison du monde, enfin il le supposait avec son regard d'enfant, quand il découvrait les couloirs qui lui paraissaient immenses. la grande maison était un petit manoir, le genre qu'on voyait dans les films d'horreur ou dans les jeux vidéos qui font peur. sombre, poussiéreux. papa hurlait tout le monde, il lançait des bouteilles, il n'était jamais content. maman était une silhouette tirée à quatre épingles, une ombre stricte qui planait sur son fils. parfois elle l'attrapait par le cou lorsqu'il allait trop loin, elle pinçait, elle réprimandait. elle avait un regard de mort, maman. maman était purement et simplement terrifiante. ils habitaient dans un petit village de campagne. le genre de petite commune où tout le monde se connaissait, et le visage d'alice n'était pas inconnu des habitants. on le saluait avec un sourire en coin, on chuchotait derrière son dos. vous savez, ça ne m'étonnerait pas qu'il soit gay, ce gosse.

bien sûr, Lui, il s'était intéressé tout de suite. Il aimait briser les gens. et alice était déjà du verre fissuré. Il rendait un service à la communauté en finissant de le détruire, non ? alors Il avait approché alice, habile avec ses mots et doux, si doux qu'alice ne pouvait que se laisser tenter. évidemment. alors ils passèrent des semaines, des mois ensembles, en secret. il venait le soir dans sa chambre, c'était simple d'accéder à la chambre d'alice quand on connaissait un peu l'endroit. c'était amusant de voir l'éclat de joie dans les yeux d'alice, c'était amusant de le voir se plier et se fondre sous les baisers, les caresses. c'était amusant d'entendre sa voix trembler.

et puis quand Il en eut marre, Il décida de l'achever. il fallait être honnête, ça n'avait pas été si difficile.

le lendemain, alice était parti.


il découvrit polaris sur le tas ; après tout il n'avait pas d'autres choix il fallait bien l'avouer. il avait tout emporté. à la maison familiale, c'est comme s'il n'y avait jamais eu d'enfant. il avait disparu. plus personne n'entendit parler de lui. c'était peut-être tant mieux, ça n'aurait pas été sage de rester pourrir dans un vieux village de campagne toute sa vie. enfin, c'est ce qu'il se répétait pour se rassurer, les soirs où son petit studio lui semble trop hostile, trop inhospitalier, et qu'il lui prend l'envie de revenir à la maison et de s'excuser, de redevenir l'enfant qu'il était. être docile et obéissant n'était pas si mal en échange d'un toit et de tout ce dont il avait besoin.

continuer ses études lui semblait un bon chemin à emprunter, mais obtenir de l'argent tout de suite, maintenant était bien plus important. alors alice commença à collectionner les métiers, à tout faire pour gagner de l'argent. la moindre pièce comptait, le moindre billet était important. il était capable de tout. il fallait croire que même ses angoisses ou sa timidité ne pouvaient le stopper de travailler. il fallait aussi croire que se noyer dans le travail lui permettait de ne pas penser au reste, de ne pas penser à quel point sa vie était misérable. il n'avait rien pour lui, alice.

travailler au lucky cat était la pire idée du monde, mais comme toujours, alice tombait dans le panneau avec une facilité monstrueuse. bien sûr, obtenir ce job signifiait pactiser avec la mafia, travailler dans l'illégalité. évidemment, il avait beaucoup réfléchi -beaucoup angoissé- et s'était demandé en long et en large si cela valait vraiment le coup. mais il fallait croire que oui puisqu'il avait accepté le job quand même. comment il s'était retrouvé ensuite à arnaquer des hommes sur internet restait un mystère ; lui qui osait à peine envoyer un sms à ses connaissances lorsqu'il en avait besoin se retrouvait à se faire pousser des ailes et à envoyer des messages explicites à des inconnus sur des sites de rencontres. (et le pire c'est qu'il était doué)

alice restait un mystère (un mystère en cours de rééducation). bien sûr que son futur semblait flou et incertain, bien sûr qu'il ne se rendait pas la vie facile non plus. bien sûr, sinon ça aurait été trop facile.