Fuis-moi je te suis

Fuis-moi je te suis

Lune & Alcor

Cela faisait déjà 3 mois que j’avais emménagé avec Ren et ses amis. Mon intégration se passait de mieux en mieux, en tout cas c’était le sentiment que j’avais. Néanmoins, les relations étaient plus difficiles avec certains occupants. C’était le cas avec Lune par exemple.
Au moment où cette pensée traversait mon esprit, je vis le jeune homme en question passer devant moi et se diriger vers le couloir. J’avais tellement peu parlé avec lui que c’était Ren qui m’avait appris qu’il travaillait dans un cirque. A vrai dire, je n’avais aucune idée de ce que c’était. J’avais vu beaucoup de choses depuis le ciel mais c’était souvent Mizar qui me les montrait, puis mes yeux s’étaient focalisés sur mon protégé.
L’appartement était calme et le soleil couché depuis un moment. Quand la porte claqua, je me levai en sursaut. Lune venait de quitter l’appartement et je me retrouvai seul entre ma chambre et le salon. Avec une spontanéité qui ne me ressemblait guère, j’attrapai une veste – qui devait appartenir à Ren – et filai mettre mes chaussures. Je ne mis pas longtemps à retrouver la chevelure de Lune dans la rue. Un bref instant, je fis le rapprochement avec l’astre qui brillait sereinement dans le ciel, du même éclat que les cheveux de l’acrobate.
Je sortais rarement la nuit, ce qui revenait à sortir rarement tout court. Je gardai une certaine distance avec mon colocataire, craignant presque qu’il me remarque. Je craignais surtout sa réaction ; ce garçon me semblait toujours imprévisible quand il se tournait vers moi – comme avec les autres incarnés de l’appartement. Pourtant, je gardais de lui une première impression qui contrastait avec son comportement. Je me trompais rarement sur les gens, même si je ne comprenais pas grand-chose aux humains.

Une ombre imposante me sortit de mes réflexions. A mesure que nous nous approchions, un chapiteau gigantesque se dessinait dans la lumière. La foule se resserrait déjà vers les billetteries, dans un brouhaha qui me surprit. Il y avait de la musique, des lumières et des voix, tant de voix. Je mis quelques minutes à réaliser que je m’étais figé et que j’avais perdu Lune de vue. Je m’approchai alors du premier passant venu et lui demandai si j’étais bien au cirque. Il rit un peu de ma question et jeta un coup d’œil au chapiteau avant de rétorquer : « Et où d’autre ? » Avant que j’eusse pu comprendre l’ironie de sa question, l’homme me laissa seul sur le trottoir. J’ignorais combien de temps j’avais marché et je n’avais aucune idée de ce que je devais faire.
Mon instinct me poussa à suivre la foule qui se rassemblait autour des billetteries. A quelques mètres du guichet, je pus lire qu’il fallait effectivement payer pour entrer sous la tente géante et colorée. Par chance, Ren avait oublié un peu de monnaie dans la poche droite de sa veste. Je m’évertuais alors à compter minutieusement les pièces et billets dans mes mains, me rappelant de ce que Dae Sung m’avait expliqué trois jours plus tôt. Je fus moi-même surpris de mes progrès quand le guichetier me donna mon ticket sans même me rendre la monnaie.

Le spectacle était saisissant. Tantôt drôle, tantôt émouvant, sans oublier quelques frayeurs vite balayées par la magie de la scène. Lune fit son entrée dans la lumière et mes yeux ne purent plus le lâcher. Je n’arrivais plus à réfléchir ni à analyser les mouvements complexes qu’il effectuait devant ce public émerveillé. La beauté du spectacle gommait les efforts que l’acrobate déployait. C’était du pur génie, de la poésie à l’état brut. Mais ce fut surtout beaucoup trop court à mon goût. Quand il salua, je ne pus qu’approuver ma voisine qui criait un « Encore ! » implorant.
La performance de Lune me laissa songeur pour le reste du spectacle. Si bien que la salle se vida sans que je m’en aperçus. Cela m’arrivait de temps à autres. Je faisais abstraction du monde extérieur et je me retrouvais seul avec moi-même. Jusqu’à ce qu’un homme ne me sorte de mon état de transe pour me demander de quitter le chapiteau. Je me risquais alors à lui demander si je pouvais parler à l’acrobate, soulignant que je le connaissais et que je tenais à le féliciter pour sa performance. Face à l’hésitation de mon interlocuteur, je dus déployer une force de négociation que je ne me connaissais pas. Mais je finis par arriver à mes fins puisqu’il me conduisit sur le premier banc avant les coulisses et me demanda d’attendre là. J’étais le seul spectateur restant dans les gradins et j’attendis patiemment que mon colocataire vienne me rejoindre.

Quand il passa le rideau qui nous séparait, je me levai et fis un pas timide vers lui, le sourire aux lèvres. « Il faut absolument que ton numéro dure plus longtemps ! Ça m’a paru être une seconde dans tout le spectacle… Mais c’était une seconde merveilleuse ! » Mon ton était très enthousiaste et pourtant réservé. La crainte de sa réaction me revenait et je ne savais plus si j’avais bien fait de le suivre. D’ailleurs il devait bien se douter que je n’étais pas arrivé là tout seul, moi qui ne sortais jamais de l’appartement…
« Tu dois être fatigué après tout ça… » Les questions me brûlaient les lèvres mais j’avais peur d’embêter Lune. La curiosité me dévorait et mille interrogations me passaient par la tête. Une soirée au cirque, quelle merveilleuse découverte !

Fuis-moi je te suis

Lune & Alcor

Ma visite surprise ne semblait pas plaire à Lune. « Tu m'as suivi jusqu'ici, remarqua-t-il. » Embarrassé, je me mordillai la lèvre et baissai les yeux sur mes mains qui s'étaient agrippées l'une à l'autre. Oups…  Il fallait bien s'y attendre. Après tout, je n'aurais sûrement pas apprécié non plus qu'on me piste jusqu'à mon travail. Mais comme je n'avais pas de travail, je ne me rendait pas vraiment compte.
Je relevai alors les yeux et, ne sachant pas quoi répondre, je soulignais qu'il devait être fatigué. J'ignorais ce qui lui était arrivé mais Lune avait de toute façon l'air fatigué depuis que je le connaissais. C'était encore plus vrai quand il rentrait de ses représentations. Et comme il me répondait qu'il allait rentrer, j'esquissai un nouveau sourire. « On va rentrer ensemble alors. »

Et puis, sans trop que je sache d'où ça venait, un flot de paroles passa mes lèvres : « Tu sais, je suis sorti sur un coup de tête. Je suis tout le temps à l'appartement et il n'y avait personne quand tu es parti. Je n'avais pas très envie de rester là tout seul, je n'avais rien à faire, alors j'ai piqué la veste de Ren et je t'ai suivi. » Un petit rire m'échappa en repensant à la bêtise de mon comportement. J'aurais pu demander à Lune de l'accompagner, tout simplement, mais quelque chose me laissait penser qu'il aurait refusé. « En plus, Ren m'avait dit que tu travaillais dans un cirque et je voulais voir à quoi ça ressemblait. Je ne suis vraiment pas déçu ! C'était une super soirée pour être honnête. » Mon visage rayonnait à présent. J'étais sincèrement heureux d'avoir pu mettre un tout petit pied dans l'univers de mon colocataire, même si ce plaisir ne semblait pas partagé. Je ne me laissais pas démonter et même si mes explications ressemblaient à une justification, je voulais juste partager quelque chose avec le jeune homme. C'était bizarre, un désir humain que je n'avais connu qu'avec Mizar quand j'étais dans le ciel mais qui s'était emparé de moi depuis que j'étais sur terre. Je supportais mal qu'on m'ignore ou qu'on me rejette. Alors qu'en tant qu'étoile je m'étais toujours fichu royalement d'avoir ou non des amis.

« J'ai bien failli te perdre dans la rue mais le cirque se voit de loin, heureusement. » Je fis un pas vers Lune, qui en avait précédemment fait un en arrière. « Ça fait longtemps que tu fais… ce que tu fais ? » J'ignorais le mot « acrobate » alors je grimaçai légèrement en espérant me faire comprendre quand même. Peut-être que Lune voulait rentrer seul, peut-être qu'il me détestait purement et simplement, mais je mourais d'envie d'apprendre à le connaître. Et s'il ne m'aimait pas, je voulais en connaître la raison.